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mercredi 3 octobre 2018

Un été de plume, nouvelle de Jean-Paul Gremillet


Un été de plume




                                      La poubelle rendait l’âme et cette âme montait au ciel sous la forme d’une pyramide de bouteilles et de boîtes de conserves vides. Le bocal de la cafetière électrique restée allumée plusieurs jours s’était fissuré. Une coulée du plus bel effet s’était lovée, d’abord sur la céramique, puis entre les portes blanches du placard, sous l’évier.
Martin regardait avec résignation ce drôle d’orvet noirâtre en train de se dessécher. Des torchons  souillés trainaient sur la table. Des assiettes marinaient dans l’eau grasse.
Quarante huit heures seulement que sa femme et les enfants étaient partis en Andalousie et déjà la cuisine prenait des allures d’auberge de jeunesse...
Il s’imposa une critique rapide mais sans complaisance. Pilar dénonçait souvent son manque de rigueur domestique et sans doute ses griefs étaient-ils fondés. Il aurait du se reprendre, faire des efforts, mais il n’en ressentait pas vraiment le besoin.
Il réduisit la flamme sous la casserole et remua avec douceur les haricots à la tomate pour éviter qu’ils ne caramélisent sur le fond. De sa main gauche restée libre, il tâtonna dans le tiroir pour récupérer le tire-bouchon, puis se baissa pour attraper la bouteille de Beaujolais qu’il coinça entre ses cuisses.
C’est à cet instant que les carreaux de la fenêtre entrebâillée volèrent en éclat dans un bruit de canonnade. Coup au cœur et sursaut en recul, Martin resta figé quelques secondes, le temps de retrouver sa sérénité. Ce n’était pas la foudre. Le ciel de ce début d’août, d’un bleu uniforme flânait calmement sur les toits.
Il se mit à balayer machinalement les morceaux de vitre et de bouteille confondus dans une même flaque acide. Des virgules violacées émaillaient les murs et, plus navrant encore, ses pantoufles étaient trempées.

mardi 30 janvier 2018

MARDI DE FIN JANVIER, de Eliane Mévouillon, poème



MARDI DE FIN JANVIER

"L’air sur son mât de cocagne..."


Il était tôt quand je me suis éveillée.
L’air sur son mât de cocagne
De son silence endormi chantait.
Le petit jour faisait déjà campagne…
Le temps debout, jamais fatigué,
Allait, avec toutes ses secondes en brigade,
Trottinant de son pas doux et cadencé.
Il est mardi, dit-il, braves gens,
Venez tous avec moi passer la journée,
Actifs et retraités, avec ou sans canne,
Jeunes, petits enfants aux sourires enjoués,
C’est fin janvier allons droit devant,
Avançons, solidaires, sereins et guillerets…
Qui m’aime me suit sur la piste, la rocade,
Sur la verte pelouse ou sur les graviers,
Je veux des cœurs qui battent chamade
En attendant le mercredi du calendrier.

Ecrit par Néelia le 30.01.18

mardi 23 janvier 2018

La petite fille en blanc de Chantal Martel, poème


L'aimant des coucous de Jean-Paul Gremillet, poème


Illustration de presse, années 30, montrant un enfant enfermé dans une colonie pénitentiaire pour mineurs, autrement dit "un bagne pour enfants".



L’aimant des coucous



Je les attire et je les aime aussi,

Ces déclassés, ces perdus, ces occis,

Ces relégués inscrits, tombés du nid,

Presque noyés, accrochés au déni,

Muets, honteux et qui flambent soudain,

De prédictions violentes et de dédain,

Pour mieux s’éteindre dans l’instant qui vient,

Trop rapide pour eux. Des moins que rien,

Qui ont compté puis oublié les coups,

Courbés, transis mais superbes coucous.

                                                Jean-Paul Gremillet  avril 2008



 Cellule de prison aujourd'hui dans un établissement pénitentiaire pour mineurs, région de Lyon

Quelques oeillets rouges de Jean-Paul Gremillet, nouvelle.



Quelques œillets rouges


     

De longues semaines passeront avant que les grandes marées ne reviennent mais ils sont déjà des centaines à attendre que le fleuve baisse un peu de niveau. Alors, oui, telles les légions de César, on pourra les voir, cassés en deux, se dirigeant vers l’embouchure, en train de racler la vase entre les rochers avec de drôles de petits râteaux grillagés. Les plus chanceux ramasseront un kilo, trois livres au mieux. La palourde se fait rare, rare et petite, et polluée disent certains, de toutes façons, interdite à la vente. Mais elle se vend, aux terrasses des bars chics, le long des quais. Deux euros le kilo. Une misère. Une aumône. Et ils sont trop nombreux, les chanceux des chanceux, à tenter de placer leur récolte, après avoir réussi à déjouer la police maritime. L’administration municipale laisse faire à la demande des propriétaires de bars. En ces temps délicats, il faut attirer le touriste.

Ces jours-ci, ils sont des centaines sans travail, à rechercher quelques heures de manutention dans les chais, une barque à nettoyer... Les vignes sont saturées de journaliers qui triment pour quelques repas et l’embauche tourne en cercle fermé.
Caetano a posé sa veste de toile foncée sur une borne. Lentement il a roulé les manches de sa chemise à carreaux puis réajusté son chapeau. Il est presque dix huit heures, mais le soleil est encore haut et le fleuve ressemble à du plomb liquide.
Il s’en est approché discrètement en louvoyant entre des bâtiments dont la construction est stoppée, évitant les buissons d’épineux et de lauriers-roses. Il connaît chaque tas de parpaings couverts de fleurs d’onagre, la moindre chaîne ou ferraille qui traine au sol.
Le quai en face est noir de monde. Du pont tout proche, ça saute à tout va. Vingt mètres de haut. Des touristes, beaucoup de Japonais, les appareils à bout de bras, pour être au plus près de l’inconscience.