La fameuse soirée
Samedi 10 mars 2000. Le fond de l’air est frais à 21
heures dans les alentours de Vierzon. Un manoir fantôme se découpe, sur
le bord de la route des Epinettes, dans le faisceau des phares de la
Mercédès coupé de Ludovic.
“Tiens, je suis le premier !” peste-t-il, en pilant devant le seuil.
Seule une fenêtre du premier étage est éclairée, les baies du grand salon sont, elles, ténèbreuses !
“Etrange ! C’est pourtant bien le bon jour ? Horreur
d’être en avance ... Cet abruti de Robert va se réjouir de ma
précipitation. Impossible de repartir, il doit guetter derrière les
carreaux. Ce que je peux être niais !”
C’est d’une main rageuse qu’il s’empare du heurtoir
et le fracasse contre la porte. Evidemment, un temps infini s’écoule
avant que l’ouverture ne se produise. Une vieille femme voûtée, l’air
embarrassé, incline la tête et prononce les paroles les plus inattendues
: “Vous êtes l’un des invités de la soirée, n’est-ce pas ? Monsieur
Tardat m’a chargée de vous dire combien il est désolé : un contretemps
l’a obligé à repartir précipitamment et il ne pourra pas vous accueillir
personnellement ce soir. Mais, rentrez, Monsieur, et acceptez de
prendre une collation, tout a été préparé.”
Ludovic reste bouche bée. Il s’apprête à faire demi
tour, dépité, voire humilié quand il voit arriver deux autres voitures.
Alors, il se compose un personnage à la hauteur, redresse la tête et
esquisse un sourire commercial. Il vient de reconnaître Jean-Bernard
Prachon, suivi de près par Nelly, la cousine snob de Tardat.
- Bonsoir les “jeunes”! Alors, en goguette, comme au
bon vieux temps ! Si vous aimez les surprises, vous allez être servis !
lance-t-il, goguenard.
- Salut Ludo, alors c’est le grand rassemblement ! ironise Nelly.
- Bizarre, je n’entends pas les trompettes ... de la renommée, of course ! persifle Jean-Bernard.
- Mais, rentrez donc, très chers, la maison vous est
ouverte ! Je ferai l’hôte à la place de Robert, sorry Bob ! Il ne peut
être là, une obligation inopinée, voyez-vous, l’en empêche.
Ludovic s’incline avec outrance vers ses deux anciens compagnons.
Tous trois suivent la vieille gouvernante jusqu’au grand salon où un buffet est dressé.
Après la cinquième coupe de champagne, le gros
naturel de Ludovic resurgit avec entrain. Il s’apprête à poser la main
sur la hanche sculpturale de Nelly quand la sonnette retentit et la
grand-mère trotte-menu revient avec ... Silvana ! Dans un silence
stupéfait, la tenancière du café avance intimidée et souriante.
- Tu as été engagée pour le lunch ? s’enquiert Nelly, avec son cynisme naturel et de bonne foi, en la circonstance.
- Bonsoir à vous trois. Engagée ? Non, voyons ...
Et Silvana, pour se justifier, retire le carton d’invitation de son sac et le brandit comme on montre patte blanche.
- Alors, toi aussi ? ne peut s’empêcher de renchérir Ludovic, rubicond.
- Ce sera la deuxième jolie femme de la soirée, s’esclaffe Jean-Bernard.
- Mais où est donc Robert ? Je suis si contente de le revoir !
- C’est une farce, je crois. Il paraît qu’il a été
obligé de filer “à l’américaine” au dernier moment. Alors, on va tenir
compagnie à son buffet. A ta santé, Silvana !
Les petits fours sont engloutis, le champagne a
détendu l’atmosphère et les quatre ne savent plus quoi dire ni quoi
faire. Silvana essaie de sauver la situation et propose d’aller dîner
“pour de vrai” dans une auberge des alentours.
- Marché conclu ! approuve Jean-Bernard qui ne se voyait pas rentrer si tôt chez lui.
A suivre ...
Céline (avril 2002)