L’envie, reine des vertus
ou le plaidoyer de la mauvaise foi
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs du Jury,
Si
je comparais aujourd’hui devant vous, c’est parce que j’ai succombé, dit la morale
chrétienne, au péché d’envie. Un péché capital selon le code reconnu par tous.
« Tu ne convoiteras pas le bien d’autrui, ni ses talents, ni ses
amours ». Telle est la règle pour sauvegarder la paix sociale. Mais, pour citer
Diderot, on nous a « prêché je ne sais quelle distinction du tien et du
mien ». Ou comme disait Rousseau « Le premier qui ayant enclos un
terrain s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples
pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. » Voilà, tout
est dit : « trouva des gens assez simples pour le croire. » Là est
l’imposture.
Le
premier qui s’est accaparé du bien commun et a mis son nom dessus est le vrai
responsable. « La propriété, c’est le vol » confirmait Proudhon. La
fin du Paradis, c’était déjà ça. Eve vola la pomme de la Connaissance, elle
n’avait pas le droit, ce fruit était bien commun ou bien divin, c’est pareil et
avec cette femme cupide l’humanité a basculé dans l’Enfer.
Je
sais, vous allez me traiter de communiste et dire que cette idéologie-là a
montré ses carences. Mais précisément, c’est parce que l’envie est venue aux
dirigeants de s’approprier l’âme et les biens du peuple. Ce péché-là est vieux
comme le monde, c’est lui qui a fait notre grandeur comme notre malheur. Prenez
Charlemagne, Louis XIV, Napoléon : n’ont-ils pas eu envie de diriger le
monde, de le soumettre, de le posséder. Sont-ils des monstres ? Les
montre-t-on du doigt ? Ils ont fait la grandeur et l’unité de la France
disent les manuels d’histoire.
Alors,
qu’arriverait-il si l’humanité cessait d’avoir envie, si elle étouffait ses
désirs. Le mot est lâché : désir. Que font les moines bouddhistes pour qui
l’extinction du désir est le but suprême à atteindre pour échapper au samsara,
la roue des existences perpétuelles : ils ne font rien précisément. Ils
méditent et ils mendient. Ils ne sont pas agressifs, pas dangereux, ils sont
simplement inutiles. Tout ce qu’ils veulent, car il y a toujours un désir,
c’est que ça s’arrête. Tout, la vie, la renaissance, la mort. Ils aspirent au
néant. Ils nient l’humanité.
Alors
M. le Président, Mesdames et Messieurs du jury, j’ose affirmer que bannir
l’envie est un crime contre l’humanité, pire c’est une faute, un péché capital.
L’envie, le désir c’est le moteur de l’homme. Grâce à lui, l’homme aspire à la
connaissance, à la beauté, au bonheur, à l’amour, au confort. Sans lui,
l’humain baisse les bras, il s’enferme, se durcit, se dessèche. A quoi bon
vivre ? Car l’envie est la sœur de l’Espoir. Prenez garde, Mesdames et
Messieurs, de ne jamais tuer l’Espoir, « L’Espoir despotique »
comme disait Baudelaire.
Une
humanité désespérée est une humanité vaincue.
Examinons
à présent ce qui m’est reproché et vous conviendrez que ce n’est que broutille,
et que ce qui me portait, c’était le désir, l’espoir, sans lesquels l’homme ne
peut vivre.
Qu’ai-je
fait en réalité ? Vous dites que j’ai détourné des fonds à mon profit, que
j’ai suborné des édiles et des électeurs, que j’ai profité des largesses de la
nation et de la ville dont j’étais le maire. Cela fait des années que vous me
poursuivez de vos assiduités, que vous essayez de m’accabler et de me
déshonorer.
Maintenant
que je suis devenu un citoyen ordinaire, que je n’ai plus en charge la Nation,
que je suis vieux et que je ne désire plus rien car j’ai tout eu, vous voulez
me condamner. A quoi cela vous servira-t-il si ce n’est à assouvir votre envie
de vengeance, votre immense jalousie, vous qui resterez à jamais d’obscurs
personnages. Les livres d’histoire ne parleront pas de vous et cela, vous ne le
supportez pas. Mais les Français, eux, m’ont massivement soutenu, m’ont porté
au pinacle. Même les chansonniers ne parvenaient pas à me rendre antipathique.
J’avais la pêche, vous comprenez, l’énergie, l’envie, le désir, et j’apportais
à tous l’Espoir d’une France débrouillarde, roublarde, séductrice, triomphante,
vivante en un mot. La perfection fait peur, comprenez-vous. Voyez-les, les
vertueux, les frileux, les frustrés, ils deviennent des tyrans car il leur
manque l’essentiel : la recherche du plaisir, l’accomplissement de leur
désir.
Mesdames
et Messieurs, si vous me condamnez, vous ferez le procès de la Vie, vous serez
les auxiliaires de la Mort. Vous ferez de moi une victime et un symbole, et
vous ne ferez que briser temporairement l’Envie. Car elle renaîtra, plus forte,
plus dangereuse d’avoir été si sévèrement jugulée.
Prenez
garde à elle, car elle vous consumera si vous la combattez. Elle est le moteur
du Monde, même les Dieux nous l’envient !
(Céline Roumégoux)